Une cour baignée d’ombre, le craquement du gravier sous les pas, puis le silence de salles qui se remplissent lentement de couleur. Cet été, l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence a ouvert le passage vers un bestiaire — non pas de nature, mais de mémoire et de mythe.
À l’intérieur, Le Bestiaire Magique de Niki de Saint Phalle se déployait comme une fable. Ni linéaire. Ni docile. Une histoire racontée à travers des dragons, des oiseaux, des serpents, et des femmes capables de voler.
( la créature comme signe )



Tous les animaux ne vivent pas dans les forêts. Certains viennent des rêves. D’autres des blessures. Dans cette exposition, l’animal devient symbole — changeant, lumineux, étrange. Chaque salle posait son propre rythme : un serpent lové dans la rédemption, un oiseau aux plumes de mosaïque déployées dans le mouvement, un dragon dont la posture rappelait autant le gardien que le monstre. À travers ces figures, quelque chose s’ouvrait. La biographie passait dans l’allégorie. La colère se faisait forme. Le chagrin se fragmentait en éclats de verre.
( un vocabulaire de formes )



Rien ici ne restait figé. Même dans la sculpture, un souffle persistait. La peinture débordait sur les corps arrondis, vive et tendre. Les matériaux dansaient — miroir, céramique, polyester, bronze. Dans une salle, une Nana se cambrait vers le plafond, défiant la gravité. Dans une autre, une araignée attendait, calme et souveraine. Chaque œuvre refusait l’immobilité. Chacune exigeait d’être vue sous tous les angles, comme une phrase qui ne se lit qu’à voix haute.
( le mythe réordonné )


Niki de Saint Phalle ne reprenait pas les mythes. Elle les réécrivait. Ici, le monstrueux ne faisait pas peur — il s’expliquait. Le sacré ne se cachait pas — il se portait, éclatant. La féminité s’armait de griffes, d’ailes, d’armures — mais riait souvent. Par moments, le regard pensait au tarot. Aux anciens bestiaires. Aux dessins d’enfant. Mais rien ne restait. Chaque image se dissolvait en quelque chose de plus singulier. Plus elle. Plus créature que métaphore.
( le souffle mécanique )
Vers la fin du parcours, dans la lumière vive du jardin, une figure s’animait. Le Monde — un globe en équilibre sur la jambe d’une Nana — tournait lentement. Le mécanisme était visible. La poésie, moins. Non loin, Le Poète et sa Muse restaient immobiles, mais portaient l’élan d’un envol. Peinture, geste et ombre s’unissaient dans un espace entre sculpture et machine. Le regard observait. La figure respirait. Quelque chose s’ouvrait.
( l’envol )

Les salles s’effaçaient dans la lumière du dehors. Une ville attendait, plus bruyante, plus plane. Mais le bestiaire restait. Dans des formes qu’on se rappelait. Dans des couleurs derrière les paupières. Dans le sentiment que certains symboles marchaient encore aux côtés des vivants.
Peut-être, quelque part à Aix, un dragon veille encore.
Pour ceux qui passent par le sud avant que ne vienne octobre : en remontant le cours Mirabeau, suivre la courbe de la rue Joseph Cabassol sur votre droite… Entrer doucement. Laisser les créatures parler.

Et voici le lien pour aller visiter cette exposition.